Résumé / Abstract. : La dangerosité criminelle est souvent associée à des troubles mentaux. Les études récentes utilisant des instruments diagnostiques standardisés confirment les données anciennes. Le taux d’arrestations des patients sortant d’institutions psychiatriques est significativement plus élevé. Les personnes incarcérées souffrent davantage de troubles mentaux que la population générale. Les troubles psychotiques, en particulier schizophrénie, idées délirantes et hallucinations, le trouble de la personnalité antisociale, les addictions augmentent le risque de commettre un homicide. Les études épidémiologiques dans la population générale confirment que divers troubles mentaux des axes I et II (DSM IV) accroissent nettement la prévalence du comportement violent. Plus la comorbidité psychiatrique est élevée, plus les risques de conduite agressive et de suicide sont importants. Les troubles mentaux générateurs d’actes criminels, ainsi que les principales catégories d’infractions médicolégales sont rapidement décrits. Enfin, les bases psychobiologiques des comportements violents, en particulier la dysrégulation sérotoninergique, commencent à être élucidées.
Introduction
La criminologie peut être définie comme l’étude scientifique du crime et du criminel. Elle vise à comprendre et expliquer le phénomène criminel. Elle est principalement née au XIXe siècle avec les travaux de l’école positiviste italienne. Cette science se situe à l’interface de plusieurs disciplines : droit pénal, sociologie, médecine légale, psychiatrie, psychologie, neurobiologie, génétique...
Le Code pénal de 1810, envisageant dans son article 64 l’irresponsabilité des malades mentaux, a officiellement donné naissance à l’expertise psychiatrique pénale. Les personnes
reconnues irresponsables en raison de leur aliénation mentale passaient du champ judiciaire au champ médical. La psychiatrie, avec la loi du 30 juin 1838 sur l’internement des aliénés, est née précisément dans ce contexte puisqu’il s’agissait non plus de punir, mais de soigner. En fait, les points de contact entre psychiatrie et droit se sont multipliés depuis cette époque, mais nous nous limiterons ici à l’approche psychopathologique du phénomène criminel. Précisons que cet article a été rédigé dans un esprit essentiellement scientifique, pragmatique et actuel. Il omet volontairement les considérations psychodynamiques incertaines et inopérantes qui encombrent nombre de travaux sur le sujet.
Études épidémiologiques
L’existence d’une relation entre pathologie mentale et violence est connue depuis longtemps dans le grand public [5, 80]. Les législations de la plupart des pays du monde reconnaissent d’ailleurs cette association. L’image du fou commettant un crime violent sans raison apparente est largement entretenue par les médias qui reprennent quelques faits divers spectaculaires. Cependant, jusqu’à récemment, beaucoup d’auteurs n’acceptaient pas le fait qu’il puisse exister une corrélation positive entre violence et troubles mentaux, argumentant que l’utilisation de groupes contrôles statistiquement appropriés pour les variables sociodémographiques faisait disparaître ce lien apparent [80]. Depuis que les méthodes épidémiologiques ont progressé, des données récentes, plus fiables et scientifiquement valides, sur une association possible entre violence et maladie mentale ont été établies. Les évidences se sont ainsi accumulées que les personnes présentant des troubles mentaux ont une augmentation du risque de criminalité et plus particulièrement de criminalité violente.
PRÉVALENCE DES COMPORTEMENTS VIOLENTS OU CRIMINELS CHEZ LES MALADES MENTAUX
Plusieurs recherches de suivi de malades après leur sortie de services de psychiatrie ont été menées récemment, notamment aux États-Unis et dans les pays scandinaves. Ces travaux ont montré de façon concordante que, toute proportion gardée, davantage de ces patients sont auteurs d’infractions par rapport aux personnes ne présentant pas de troubles mentaux et vivant dans le même environnement [68]. Link et al [68], dans une revue de la littérature portant sur 13 études, mettent ainsi en évidence un risque d’arrestation trois fois supérieur à celui de la population générale.
Ces recherches montrent en outre des taux élevés de comportements violents [68, 88]. De surcroît, la fréquence des actes violents envers autrui commis par des malades mentaux dans les 2 semaines précédant leur hospitalisation varie de 10 à 40 % selon les études [30, 80, 84, 123]. De 25 à 30 % des malades hommes, présentant au moins un antécédent de violence, commettent un nouvel acte de violence dans l’année qui suit leur sortie de l’hôpital [56, 57].
L’abus d’alcool ou de substances paraît être davantage associé à une plus grande fréquence d’arrestations sur la vie entière que l’existence d’une schizophrénie, d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble affectif majeur [53]. Pour Harry et Steadman, le seul prédicteur valable pour l’arrestation dans l’année reste toutefois le diagnostic de personnalité antisociale [48]. Des biais méthodologiques de sélection sont cependant possibles dans cette catégorie d’études, un comportement de violence étant notamment un critère d’hospitalisation et le comportement inadapté des malades mentaux les exposant à être plus souvent arrêtés que les sujets normaux [80, 112].
ÉTUDES PORTANT SUR DES POPULATIONS DE DÉTENUS
Des travaux portant sur des échantillons représentatifs de détenus aux États-Unis et au Canada montrent une prévalence supérieure de troubles mentaux graves, comme la schizophrénie ou les troubles affectifs majeurs, par comparaison avec la population générale [51, 106, 107, 108]. La plupart de ces troubles psychiatriques majeurs étaient présents avant la période d’incarcération. Lamb et Weinberger [61], dans une revue récente de la littérature internationale portant sur 110 études parues depuis 30 ans, mettent en évidence que 6 à 15% des prévenus et 10 à 15 % des condamnés présentent des affections psychiatriques sévères, aiguës ou chroniques. La morbidité psychiatrique touche en réalité 25 à 60 % de la population pénale en fonction des études et de l’accent mis sur les troubles de la personnalité [61, 71].
En considérant les pathologies graves, une des recherches récentes parmi les plus complètes a été réalisée par Teplin [106]. Elle concerne 728 hommes incarcérés aux États-Unis et révèle que 6,4 % présentaient une schizophrénie, un trouble bipolaire de l’humeur ou un trouble dépressif majeur. Cette étude a utilisé le Diagnostic Interview Schedule (DIS) permettant ainsi une comparaison avec les données de l’enquête Epidemiologic Catchment Area (ECA) [94] portant sur des échantillons de personnes dans la population générale. Dans cette recherche, la fréquence de la schizophrénie apparaît multipliée par trois, la dépression majeure par 3,5, la manie ou le trouble bipolaire par 14 chez les détenus en comparaison avec la population générale. La prévalence de l’ensemble des troubles mentaux graves était au moins deux à trois fois plus élevée chez les détenus que dans la population générale [106]. Pour le seul diagnostic de psychose, les études varient entre 3 et 5 % de l’ensemble des détenus, comme dans l’enquête menée récemment en France dans 26 SMPR par l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire [71].
Teplin et al [107], dans une étude longitudinale, montrent que les détenus hommes présentant des troubles mentaux sévères (schizophrénie, trouble affectif majeur), des conduites addictives (alcool, drogues) ou une symptomatologie psychiatrique positive (délire, hallucination) ont un risque de récidive élevé puisque 50 % d’entre eux sont réincarcérés pour un acte criminel au cours des 6 années suivantes. Ce risque en cas de symptomatologie psychotique (délire, hallucinations) apparaît légèrement supérieur en matière de crimes violents.
La prévalence des troubles mentaux chez les femmes incarcérées est également importante à considérer. Dans un échantillon non sélectionné de 1 272 femmes détenues, respectivement 80 et 70 % réunissaient les critères d’un trouble psychiatrique sur la vie entière ou au cours des 6 derniers mois [108]. L’ensemble des troubles était significativement plus fréquent que dans la population générale de l’étude ECA, à l’exception de la schizophrénie et du trouble panique.
PRÉVALENCE DES TROUBLES MENTAUX PARMI LES AUTEURS D’HOMICIDES
Les recherches, essentiellement scandinaves, montrent un oddsratio (OR) relativement élevé, en particulier pour la schizophrénie, la personnalité antisociale et l’alcoolisme parmi les meurtriers [34, 35, 39, 110, 111]. Du fait qu’en Finlande, environ 95 % des homicides sont élucidés et que les auteurs d’homicides sont soumis à une évaluation de psychiatrie légale intensive et approfondie, il a été possible d’examiner les données de 693 des 994 meurtriers répertoriés sur une période de 8 ans [34]. La prévalence des troubles psychiatriques lors de l’acte criminel a été utilisée pour calculer les OR pour l’augmentation statistique du risque associé à certains troubles mentaux spécifiques par comparaison avec la population générale.
L’existence d’une schizophrénie augmente l’OR de violence homicide de huit fois chez les hommes et de six fois et demie chez les femmes. Les auteurs précisent cependant que tous les
schizophrènes ne devraient pas être considérés comme dangereux, seuls les sujets paranoïdes avec abus de substances présentant un risque de violence élevé. Une personnalité antisociale ou un alcoolisme augmentent cet OR de plus de dix fois chez les hommes.
Le risque apparaît également considérablement plus important, jusqu’à 40 ou 50 fois supérieur, pour les femmes souffrant d’alcoolisme ou d’une personnalité antisociale. Les comportements homicides, dans un pays présentant un taux de criminalité relativement bas, montrent ainsi une association statistiquement significative avec plusieurs catégories de troubles mentaux selon les critères du DSM III-R [3].
La prévalence de la schizophrénie chez les auteurs d’homicide est relativement importante, entre 8 et 15 %, dans une revue de cinq études récentes [105]. Gottlieb et al [39] retrouvent une proportion plus forte en recensant l’ensemble des homicides survenus entre 1955 et 1983 à Copenhague. Ils mettent en évidence que 23 % des crimes étaient le fait de psychotiques (schizophrènes et déprimés), la plupart des victimes appartenant à la même famille, contrairement aux homicides commis par des sujets indemnes de psychose.
ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES EN POPULATION GÉNÉRALE
Les recherches dans des échantillons de population générale sont particulièrement intéressantes puisqu’elles évitent la plupart des biais de sélection ou de traitement liés à une hospitalisation [80].
L’étude de Swanson et al [102] reprend les données de trois sites de l’étude ECA [94] portant sur des échantillons représentatifs de plus de 10 000 personnes évaluées par l’entretien structuré (Diagnostic Interview Schedule) du DSM III [3]. Cette étude montre que, en comparaison avec les personnes n’ayant pas de diagnostic de trouble mental, la prévalence de la violence est cinq fois plus élevée pour les individus recevant un diagnostic sur l’axe I. Les prévalences des comportements de violence dans l’année écoulée pour les personnes atteintes d’une schizophrénie, d’une dépression majeure, d’une manie ou d’un trouble bipolaire apparaissent remarquablement proches les unes des autres dans ces groupes diagnostiques (10 à 12 %), supérieures à celles des sujets indemnes de troubles (2 %). La prévalence apparaît douze fois plus importante pour les sujets présentant un abus d’alcool (24,6 %), et seize fois supérieure pour ceux abusant de substances (34,7 %), même après contrôle des facteurs sociodémographiques [102].
Link et al [68] ont comparé le taux d’arrestations et de violences autorapportées sur une période de 5 ans dans un échantillon de près de 400 sujets adultes, sans antécédents d’hospitalisation ou de consultation psychiatrique, avec le taux de violence dans des échantillons de malades mentaux hospitalisés ou ambulatoires. Un grand nombre de facteurs a été contrôlé, en particulier le niveau socioéconomique, les données démographiques et ethniques ou le taux d’homicides dans la communauté. Bien que certains facteurs démographiques comme le sexe masculin, un bas niveau d’éducation ou le fait de résider dans une région ayant un taux d’homicide élevé soient corrélés au risque de commettre un acte violent, le groupe des patients était davantage à risque que celui des non-patients. Lorsque la présence de symptômes psychotiques était contrôlée (exclusion des personnes aux idées psychotiques des deux groupes), plus aucune différence n’était observée pour les antécédents de comportements violents récents entre malades et non-malades. Ce résultat se maintenait même après contrôle des données concernant l’abus d’alcool ou de substances (exclusion des toxicomanes des deux groupes). En conclusion, la différence dans les taux de violence entre malades mentaux et sujets n’ayant jamais consulté est liée à la présence de symptômes psychotiques.
ÉTUDES PORTANT SUR DES COHORTES DE NAISSANCES
Pour examiner la relation entre pathologie mentale et crime, la méthode de recherche présentant le moins de faiblesses méthodologiques est de réaliser des études longitudinales
prospectives de cohortes de naissances non sélectionnées.
L’existence de registres centralisés, rassemblant l’ensemble des données des dossiers criminels et des dossiers d’hospitalisation psychiatrique, a permis dans les pays scandinaves des études de prévalence de la criminalité.
Une étude de référence a été réalisée en Suède sur les 15 117 personnes nées à Stockholm en 1953 et suivies jusqu’à l’âge de 30 ans [50]. Dans ce follow-up sur 30 ans, l’association entre troubles mentaux et criminalité était étudiée en utilisant pour la première fois un échantillon de grande taille, exhaustif, et des méthodes statistiques et épidémiologiques précises permettant de calculer les risques relatifs avec intervalle de confiance pour chaque groupe diagnostique. Les hommes présentant un trouble mental majeur avaient un risque multiplié par deux et demi d’être recensés pour une infraction criminelle et par quatre pour une infraction violente par rapport aux hommes sans maladie psychiatrique ni déficience intellectuelle. Les femmes souffrant d’un trouble mental majeur avaient un risque cinq fois supérieur d’être condamnées en comparaison avec les femmes indemnes de trouble mental majeur ou de déficience intellectuelle, le risque d’une condamnation pour une infraction violente étant vingt-sept fois supérieur. Il est à noter que le comportement criminel des sujets développant ultérieurement un trouble psychiatrique majeur apparaissait souvent dès la prime adolescence, bien avant que la maladie ne soit diagnostiquée. Les hommes présentant un abus ou une dépendance à une ou plusieurs substances avaient un risque quinze fois supérieur d’infractions violentes que les hommes sans trouble mental ni déficience intellectuelle, ce taux s’élevant à cinquante-quatre pour les femmes.
Les personnes de l’étude ayant été condamnées pour un crime avaient également, de façon significative, davantage d’antécédents d’abus de substances dans l’enfance. La comorbidité est importante à souligner puisque parmi les auteurs d’infractions criminelles présentant un trouble mental majeur, respectivement 48,7 et 42,9 % des hommes et des femmes avaient également un diagnostic secondaire d’abus et/ou de dépendance à l’alcool ou à d’autres substances [50].
Dans la plus importante cohorte de naissances menée à ce jour, soit 324 401 individus suivis au Danemark jusqu’à l’âge de 43 ans (ie. au-delà de la tranche d’âge où le risque est le plus élevé aussi bien pour la violence que pour les troubles mentaux les plus graves), les personnes ayant des antécédents d’hospitalisation psychiatrique avaient de trois à onze fois plus de probabilité d’avoir été reconnues coupables d’un crime que les personnes jamais hospitalisées.
Presque tous les groupes diagnostiques étaient associés à cette augmentation du risque et pour tous les types d’infractions criminelles, que celles-ci soient violentes on non [52].
Un autre travail scandinave [112] s’est intéressé à l’étude du risque relatif de comportement criminel associé à des troubles mentaux spécifiques selon la classification du DSM-III-R [3]. Cette étude, portant sur une cohorte de naissances non sélectionnées de 12 058 sujets nés en 1966 dans le nord de la Finlande, a été menée de façon prospective avec suivi jusqu’à l’âge de 26 ans. Parmi les 503 hommes ayant commis une infraction, 116 (23 %) avaient un diagnostic psychiatrique, un trouble mental majeur étant recensé dans 27 cas (5,4 %). Les OR étaient respectivement de 3,1 pour les patients schizophrènes, 5,1 pour les troubles schizoaffectifs, 6,3 pour les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques ou pour les paranoïas et autres psychoses, 42,2 pour les troubles mentaux organiques. Tous les sujets avec un diagnostic de trouble organique et ayant commis une infraction présentaient des psychoses induites par l’alcool et étaient en réalité alcooliques. La comparaison des OR pour les infractions violentes et pour l’ensemble des infractions suggérait une association de la schizophrénie (OR = 7) et des troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques (OR = 8,8) à un risque majoré d’infractions violentes. La prévalence la plus élevée d’infractions était observée pour les hommes présentant des psychoses induites par l’alcool ou les schizophrènes avec abus d’alcool, plus de la moitié des schizophrènes délinquants ayant de
fait également un problème d’alcool. Le risque d’infraction criminelle était quatre fois supérieur pour les hommes schizophrènes avec abus d’alcool versus les hommes schizophrènes sans abus d’alcool. Sept pour cent des sujets ayant commis un crime violent avaient un diagnostic de psychose. Les hommes schizophrènes avaient un risque modérément élevé pour les infractions violentes, mais le risque pour les autres catégories de crimes n’était pas significativement augmenté.
Dans cette étude, les OR pour les comportements criminels ont pu être ajustés en fonction des variables concernant le statut socioéconomique de la famille dans l’enfance. Ils se sont avérés être comparables ou légèrement inférieurs aux OR bruts pour l’ensemble des troubles mentaux majeurs, à l’exception des schizophrénies et des troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques, en ce qui concerne les infractions violentes. Le risque criminel apparaît donc significativement plus important pour les sujets souffrant de troubles psychotiques, le risque le plus élevé de comportements violents étant associé à des psychoses induites par l’alcool et des schizophrénies avec abus de substances. Les auteurs de cette recherche insistent sur le rôle de l’alcool, les effets de la comorbidité avec l’abus d’alcool devant nécessairement être pris en compte avant de conclure sur une association entre troubles mentaux majeurs et comportements criminels [112].
PRÉVALENCE DES AGRESSIONS CRIMINELLES
CHEZ LES PATIENTS PSYCHIATRIQUES AMBULATOIRES
Une étude de la prévalence des comportements violents chez les malades mentaux ambulatoires a été réalisée par Asnis et al [5]. Parmi 517 des malades ayant rempli des instruments d’autoévaluation, la prévalence des idées et tentatives d’homicides était respectivement de 22 et 4 %, ce dernier chiffre étant comparable à celui – 3 % – retrouvé dans une étude précédente [104]. Dans cette recherche, les idées et comportements homicides n’apparaissent pas associés de façon spécifique à certaines catégories diagnostiques particulières, l’abus d’alcool ou de substances et la schizophrénie étant cependant davantage représentés. L’intensité des symptômes évalués par la Symptom Checklist-90-R (SCL-90-R) est apparue comme un facteur plus important pour les patients à tendances homicides, spécialement en ce qui concerne l’hostilité, l’idéation paranoïde et la sensitivité interpersonnelle (sentiment d’inadéquation et d’infériorité). Ces patients avaient des scores notamment élevés sur l’échelle d’hostilité (agressivité, irritabilité, rage et ressentiment). La prédictivité d’un comportement homicide apparaissait ainsi mieux assurée par une approche dimensionnelle que catégorielle.
CONCLUSION DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
L’ensemble de ces travaux suggère donc l’existence d’une relation positive entre trouble mental majeur, comorbidité psychiatrique et criminalité, association apparaissant d’autant plus forte qu’il s’agit d’un homme schizophrène avec un diagnostic d’abus ou de dépendance à une substance, en particulier l’alcool, et davantage pour les crimes violents que non violents [5, 17, 23]. Il est cependant nécessaire de souligner que la violence n’intéresse pas tous les patients et que la criminalité des malades mentaux ne représente qu’une faible proportion de la criminalité générale [1, 102, 105]. Swanson et al [102], tout en constatant la fréquence supérieure de comportements de violence en cas de troubles psychiatriques, soulignent que la criminalité des personnes présentant des troubles schizophréniques ne représente que 3 % de la violence en général, l’alcoolisme étant responsable à lui seul de davantage de violences que les autres troubles mentaux réunis. En France, sur 2000 homicides environ chaque année, seule une centaine (5 %) est en réalité le fait de personnes souffrant d’une pathologie mentale grave, psychose schizophrénique ou paranoïaque dans la moitié des cas [1].
Dangerosité
Nous en proposons la définition suivante : « État, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction » [17]. La dangerosité peut se rencontrer dans toutes les pathologies. Elle est évolutive, transitoire ou durable, imminente parfois, fluctuant fréquemment avec le temps et les circonstances.
Le risque peut être auto- et/ou hétéroagressif. La valeur scientifique de cette notion de dangerosité est parfois contestée, l’ensemble des études de méthodologie satisfaisante concluant à la faible valeur prédictive de ce concept. Le passage à l’acte survient dans un
contexte situationnel donné, à un moment particulier, intéressant un agresseur et une victime donnés. L’accent est mis actuellement sur l’interaction d’un sujet et d’un environnement, la dangerosité devant être considérée en termes de dynamique de dangerosité particulière [99]. Pour une personne à nouveau confrontée à une situation dans laquelle elle est passée à l’acte, le risque de récidive est plus important.
Facteurs de risque criminel
Certaines variables en relation avec la dangerosité pour autrui sont fréquemment mises en évidence dans les travaux portant sur la violence et le risque de récidive [12, 17, 19, 37, 47, 81, 85, 87, 99]. En France, il est habituel de différencier les facteurs de dangerosité psychiatrique de ceux proprement criminogènes (dangerosité criminologique). Les relations statistiques entre trouble mental et crime violent rendent cette dichotomie volontiers arbitraire et peu pragmatique en pratique médicolégale. Outre l’âge –15 à 30 ans – et le sexe masculin, nous classerons ici l’ensemble de ces indicateurs pronostiques selon un plan différent, plus adapté à l’évaluation d’un individu susceptible de commettre une agression contre autrui ou de récidiver.
Prédicteurs liés à l’enfance du sujet
Les prédicteurs sont :
– milieu familial brisé et abusif ;
– brutalités parentales, événements traumatiques ;
– perte précoce d’un parent ;
– éducation froide, hostile, permissive ;
– manque de supervision des parents ;
– placements familiaux ou institutionnels ;
– tendances incendiaires, énurésie et cruauté envers les animaux ;
– échec scolaire.
Prédicteurs liés aux antécédents criminels
Ce sont :
– précocité de la délinquance violente ;
– multiplicité et gravité des infractions ;
– condamnations pour violences physiques ou sexuelles ;
– non-lieux pour troubles mentaux.
Prédicteurs liés à l’état mental
Les prédicteurs sont :
– immaturité psychologique, intellectuelle et morale ;
– mentalisation et verbalisation déficientes ;
– introspection difficile ;
– incapacité à communiquer avec autrui ;
– caractère extraverti avec anxiété ;
– personnalité psychopathique-limite ;
– troubles psychotiques ;
– conduites addictives ;
– impulsivité pathologique, perte de contrôle ;
– automutilations ;
– fantasmes déviants agressifs, sexuels, incendiaires, sadiques ;
– comportement imprévisible, irrationnel ;
– colère, hostilité ou ressentiment chroniques ;
– égoïsme, absence de compassion, inaffectivité ;
– hyperémotivité, instabilité émotionnelle ;
– fanatisme politique, religieux.
Prédicteurs liés au mode de vie et aux attitudes sociales
Ce sont :
– inadaptation sociofamiliale ;
– absence d’emploi ;
– marginalité, toxicomanie, prostitution ;
– port d’arme, accès à des instruments de violence ;
– conduite automobile dangereuse, autres conduites à risques ;
– fréquentation des délinquants ;
– attitude de victime, vécu d’injustice, critique de la société ;
– négation ou minimisation des actes violents passés.
Prédicteurs liés à la situation précriminelle
Ce sont :
– situation de crise ;
– état de stress ;
– apparition d’un état dépressif ;
– idées de suicide ou d’homicide ;
– abus d’alcool et de stupéfiants ;
– activité et intensité des symptômes psychiatriques ;
– épisode fécond délirant ;
– forte intentionnalité de faire mal ;
– plan concret d’agression.
Prédicteurs liés à la victime virtuelle
Les prédicteurs sont :
– proximité affective et géographique de la victime ;
– menaces de mort à l’endroit de la victime ;
– désignation nominale d’un persécuteur ;
– victime hostile, provocatrice, dépendante, imprudente, jeune, de
sexe féminin, handicapée, malade mentale, privée de liberté.
Prédicteurs liés à la prise en charge
Il s’agit :
– d’échec répété des tentatives de réinsertion ;
– d’absence de projets d’avenir réalistes ;
– d’attitude négative à l’égard des interventions ;
– du manque de référents médical et social ;
– de mauvaises relations avec l’entourage personnel et soignant ;
– d’absence, refus, inefficacité du traitement psychiatrique.
Lire la suite de l'étude en téléchargeant le document PDF, ICI
Commenter cet article