Mesure et analyse à partir du modèle
transthéorique du changement
Thèse de Normand Brodeur
Résumé
Le modèle transthéorique suscite l’intérêt des intervenants qui aident les conjoints aux comportements violents à modifier leur conduite. Il soutient :
1- que les personnes qui modifient leur comportement passent par une série de stades appelés précontemplation, contemplation, préparation, action, maintien et conclusion; et
2- que la progression d’un stade à l’autre est facilitée par l’utilisation des bonnes stratégies de changement au bon moment.
Les stratégies expérientielles seraient plus utiles dans les premiers stades, alors que les stratégies comportementales conviendraient mieux aux stades plus avancés. Cette étude avait comme premier objectif de valider la version française d’un questionnaire sur les stratégies de changement développé aux États-Unis par Levesque et Pro-Change (2001). Elle visait ensuite à examiner la relation entre les stratégies et les stades de changement. Les données ont été recueillies auprès de deux groupes d’hommes (n = 255 et n = 302) recrutés dans des programmes québécois d’aide aux conjoints aux comportements violents.
Des analyses factorielles confirmatoires ont montré que le meilleur modèle pour décrire la structure du questionnaire comprenait 13 stratégies. Les indices mesurant l’ajustement du modèle aux données étaient toutefois inférieurs aux normes reconnues (CFI < 0,86). De plus, seulement 38% des échelles avaient un coefficient alpha supérieur à 0,70. L’analyse des résultats indique qu’il faut mieux définir les stratégies de changement et les indicateurs qui les mesurent. Elle montre également que les stratégies ne peuvent être réduites aux seules dimensions expérientielles et comportementales. L’étude fournit par ailleurs des preuves modestes montrant que les précontemplateurs emploient moins de stratégies que les hommes des stades de changement avancés. Elle ne démontre pas la nécessité d’apparier les stratégies à des stades spécifiques, sauf pour la libération de soi. Cette dernière stratégie, de même que la réévaluation de soi négative, sont celles qui semblent les plus prometteuses pour l’intervention auprès des conjoints aux comportements violents. Le modèle transthéorique peut encore contribuer au développement de la recherche sur les stratégies de changement. Son utilité pratique semble toutefois moins grande que prévu. Les intervenants devraient garder un esprit critique à son sujet et l’employer avec prudence.
Avant-propos
J’ai commencé à m’intéresser à la violence conjugale en 1989, alors que j’étais jeune bachelier. Je dois la naissance de cet intérêt au hasard, puisque c’est au cours d’une rencontre sociale que j’ai rencontré Robert Cormier, le directeur de l’organisme communautaire Choc situé à Laval. Dans une brève conversation, il m’a expliqué que son organisme avait été l’un des premiers au Québec à offrir un programme d’aide pour les hommes ayant des comportements violents envers leur partenaire. Il m’a aussi indiqué qu’il était à la recherche d’intervenants et que je pouvais lui soumettre ma candidature si je le désirais. J’ai décidé de postuler et j’ai obtenu un emploi. Avec le recul, je peux qualifier cette rencontre d’heureux hasard. J’ai découvert à travers mon expérience de terrain à Choc des hommes fort attachants. Je pense par exemple à Stéphane, qui était visiblement désarçonné lorsqu’il est venu demander de l’aide pour la première fois; à André, qui avait de la difficulté à entrer en contact avec ses propres émotions, mais qui cherchait intensément à comprendre comment il en était arrivé à violenter sa conjointe; à Placide, qui préférait qu’on l’appelle «Pat» parce que l’histoire de sa vie n’avait rien d’un long fleuve tranquille; ou à Yves, qui était le plus souvent empêtré dans ses idées, mais qui pouvait aussi, à certains moments, faire preuve d’une grande lucidité à propos de sa situation personnelle.
Je n’ai évidemment pas découvert que de belles choses. À côté des Stéphane, André, Placide et Yves, il y avait des hommes comme Daniel qui venaient quémander une lettre attestant de leur admission au programme pour pouvoir «mettre le juge de leur bord» sans toutefois avoir l’intention réelle d’y prendre part. Il y avait également la dure réalité des violences psychologiques, verbales, physiques et sexuelles que tous ces hommes pouvaient faire subir à leurs partenaires. Je pense ici à Jean-Marc qui se croyait en droit de forcer sa partenaire à avoir des relations sexuelles avec lui parce qu’ils étaient mariés, à Jacques qui retenait la sienne au mur dans l’espoir qu’ils puissent enfin se parler, à Mario qui voulait «descendre dans le Bas-du-Fleuve avec sa carabine» parce qu’il ne tolérait pas que sa conjointe l’ait quitté ou à Marcel qui était passé à deux doigts de mettre le feu à sa compagne imbibée de naphta parce qu’elle voulait un enfant de lui.
L’intervention auprès de ces hommes posait de nombreux défis. Outre la gestion du danger immédiat qu’ils pouvaient représenter pour leurs partenaires, les grandes questions qui se posaient étaient de savoir :
• Comment les retenir assez longtemps dans le programme pour qu’ils puissent véritablement se remettre en question ?
• Comment confronter ou contourner le déni, la minimisation et les justifications présentées pour qu’ils puissent devenir responsables de leur propre comportement ?
• Comment les motiver à changer leur comportement pour que leurs conjointes soient plus en sécurité et qu’ils puissent construire des relations plus satisfaisantes avec elles ?
• Comment les accompagner pour que ce changement soit durable ? Elles se posaient avec encore plus d’acuité pour ceux qui venaient au programme pour satisfaire aux exigences du système judiciaire ou pour répondre à l’ultimatum de leur conjointe. Avec l’expérience, il est vite devenu clair que ces formes de coercition pouvaient les amener à assister aux séances de groupe, mais aussi que ces hommes gardaient le pouvoir ultime de changer ou non. Je pouvais les sensibiliser aux conséquences de leur comportement, les inviter à le modifier et leur suggérer des pistes d’action, mais c’était au fond à eux de décider.
J’ai éventuellement cessé d’intervenir directement auprès des conjoints aux comportements violents. Les questions évoquées ci-haut sont toutefois demeurées dans mon esprit et j’ai pu continuer à les approfondir à travers les recherches scientifiques auxquelles j’ai participé avec Gilles Rondeau, Jocelyn Lindsay, Serge Brochu, Guy Lemire et les nombreux intervenants des organismes d’aide aux conjoints aux comportements violents avec lesquels nous avons travaillé à partir de 1994. Les premiers travaux de l’équipe ont porté notamment sur les dimensions éthiques de l’intervention, sur la persévérance dans les programmes d’aide et les situations comportant des risques élevés de létalité. Au tournant de l’an 2000, l’équipe était prête à aborder les questions relatives à l’intervention clinique comme telle. Inspirés par les travaux réalisés par Deborah Levesque au Rhode Island, nous avons entrepris une recherche portant sur l’application possible du modèle transthéorique du changement. Sa popularité grandissante et sa relative simplicité en faisaient un modèle attrayant pour la pratique. Une partie des résultats de l’étude réalisée a été consignée dans un rapport remis en septembre 2005 au Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC). L’autre partie est présentée dans cette thèse. Je n’aurais pas pu réaliser seul un travail de l’ampleur de celui-ci. Je tiens donc à remercier les personnes qui, à divers niveaux, ont contribué à mon cheminement dans les études doctorales. Ma gratitude va d’abord aux personnes qui m’ont poussé vers cette fascinante aventure intellectuelle. Je pense ici à Gilles Rondeau, qui a été le premier à m’embaucher comme agent de recherche, qui m’a encouragé à m’inscrire au doctorat et qui n’a jamais cessé de m’accorder sa confiance. Je pense aussi à Robert Dontigny qui a toujours cru en ma capacité de mener à terme d’aussi longues études et qui m’a donné son soutien tout au long de ma route. Je pense enfin à Jocelyn Lindsay qui m’a patiemment accompagné à partir du moment où j’ai décidé de m’inscrire à l’Université Laval. Il a su m’écouter, me conseiller, me soutenir et me guider à toutes les étapes du programme de doctorat. Sa compétence, son humour et son calme devant les difficultés m’ont permis d’avancer en toute confiance.
Plusieurs personnes ont participé à ma formation académique au cours des cinq années passées à Laval. Parmi elles, je veux remercier plus particulièrement Aline Vézina qui, en tant que membre de mon comité de thèse, a su à la fois jeter un regard critique sur mes travaux et en faire ressortir les forces. Je remercie aussi Gilles Tremblay et Madeleine Beaudry qui ont gentiment accepté d’évaluer le travail fait dans le cadre de l’Examen de doctorat 1, ainsi que Jacques Vachon et André Beaudoin qui étaient respectivement responsables des séminaires de doctorat 1 et 2. Leurs commentaires et leur enseignement ont été des plus stimulants. L’un des défis particuliers que je m’étais fixé au début du programme était d’étendre et d’approfondir ma connaissance des techniques d’analyse statistiques. Plusieurs personnes ont contribué à cette dimension particulière de ma formation. Merci donc à Jean-Yves Frigon, professeur au département de psychologie de l’Université de Montréal, à Miguel Chagnon, du Service de consultation en méthodes quantitatives de l’Université de Montréal, à Gaëtan Daigle et aux étudiantes du Service de consultation statistique de l’Université Laval pour leur enseignement et leurs judicieux conseils quant à l’utilisation des techniques employées dans cette thèse.
L’étude présentée ici repose sur des données recueillies auprès de plus de 550 hommes ayant des comportements violents envers leur partenaire. Je veux tous les remercier pour le temps qu’ils ont consacré à compléter le questionnaire de recherche et pour la confiance qu’ils ont accordée à l’équipe de recherche. Sans eux, rien de ce projet n’aurait pu être accompli. Leur contribution est d’autant plus remarquable que les questions abordaient des sujets qui sont souvent tabous. Je ne peux par ailleurs passer sous silence l’apport des personnes qui ont aidé à recueillir les données. Merci aux intervenants et au personnel administratif des organismes qui ont collaboré à la recherche. La cueillette de toutes ces données constituait une tâche supplémentaire dans un emploi du temps déjà bien rempli. Merci aussi à Stéphane Hernandez et aux autres auxiliaires de recherche qui ont aidé à l’administration des questionnaires et à la saisie des informations dans les bases de données informatiques. On dit que l’argent est le nerf de la guerre. L’expression vaut aussi pour la réalisation d’études doctorales. Je remercie donc le FQRSC, le Fonds de soutien aux études doctorales de l’Université Laval, le Fonds Simonne-Paré et le Programme d’exonération des frais de scolarité de l’Université de Montréal pour les bourses qu’ils m’ont accordées pendant mes études. Je remercie aussi ma mère, Rollande Brodeur, qui a su faire preuve d’une grande générosité à mon égard en plus de m’encourager constamment à persévérer. En terminant, je voudrais exprimer ma reconnaissance à Deborah Levesque de Pro-Change Behavior Systems Inc.
En plus de permettre la traduction et l’utilisation des questionnaires de recherche qu’elle a développés au Rhode Island, elle a accepté à plusieurs reprises de répondre à mes questions et de discuter des enjeux relatifs à l’application du modèle transthéorique à l’intervention auprès des conjoints aux comportements violents.
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