Quand Erika Peña a laissé tomber son téléphone sur le sol du camion du chauffeur, elle a tendu la main pour le ramasser et a trouvé une arme à la place. Elle n'était pas effrayée. Étant au Texas, trouver une arme dans un camion n'est pas inhabituel. De plus, l'homme qui conduisait la traitait bien, la plupart du temps.
Ils se rendaient chez lui depuis des mois et au cours de ces rencontres, leur relation client- travailleuse du sexe est devenu moins transactionnel. Mais cette fois-là, alors qu'ils se trouvaient dans le quartier de Bur Oak Drive, un malaise s'est fait sentir. «As-tu peur de moi?» lui a-t-il demandé. Bien qu’elle soit seule avec lui et isolée dans cet étrange coin de banlieue, Erika Peña a ressenti une once de courage et a prononcé le nom de son amie assassinée : Melissa Ramirez.
Au moment où elle a fait cela, elle a su que c'était lui le meurtrier. Le visage de cet homme, maussade et neutre, changea brusquement. Ses yeux sont devenus vides. Elle sentit un frisson la traverser, la sensation de la mort était si proche. Elle sortit et vomit de terreur dans son jardin.
Il la rattrapa et elle s'excusa prétextant qu'une cigarette lui ferait du bien. Il l'emmena alors jusqu'à une station d'essence Valero à proximité.
Dans la camionnette, la conversation s'envenima. Erika lui répéta le nom de Melissa. En guise de réponse, l’homme lui plaça son revolver au milieu de la poitrine. Il la saisit ensuite par l'épaule, mais hésita un instant. Erika se débattit. Dans la bagarre, il lui arracha sa chemise, mais elle parvint une nouvelle fois à s'échapper et se mit à courir en soutien-gorge. Derrière elle, Erika Peña entendit un coup de feu. Elle finit par tomber sur un agent de police en patrouille et se jeta sur lui en criant "Il essaie de me tuer !". Le policier lui ouvrit la porte et l'installa près de lui. Au moment où il se rendit sur la place où se trouvait encore quelques secondes auparavant le camion, celui-ci avait disparu.
L'agresseur d'Erika était rentré chez lui. Sachant qu'il allait être dénoncé, il se composa un petit arsenal d’armes à feu : un AR-15, un fusil de chasse, un revolver - et attendit l'arrivée imminente de la police.
En attendant, l'agent prit la déposition d'Erika. Il connaissait les agents chargés d'enquêter sur le meurtre de Melissa Ramirez et les appela. Mais Erika ne savait que le prénom de l'homme avec qui elle avait des relations sexuelles tarifées. Cependant elle pouvait dire où il habitait et reconnaitre le camion.
«C’est un agent de la patrouille des frontières», a-t-elle déclaré alors aux enquêteurs.
Au moment où l'équipe des Swats est entrée dans la maison de l'agresseur, il n'était plus là. Les agents ont trouvé les armes, à l’exception d’une seule : un pistolet de calibre .40 de Heckler & Koch. C’était l'arme avec laquelle il avait commis deux meurtres . Dans les heures suivantes, le dimanche 16 septembre 2018, cette arme allait tuer deux autres personnes.
Elle appartenait à l’agent de la patrouille des frontières : Juan David Ortiz qui travaillait sur le territoire de Laredo, ville proche de la frontière américano-mexicaine, sur les rives du Rio Grande. Laredo est la ville jumelle de Nuevo Laredo située de l'autre côté et si la première est jugée comme une ville sûre, il n'en est pas de même pour la seconde. Les habitants de Laredo peuvent souvent entendre les bruits des coups de feu venus de la ville jumelle et distillés par les cartels. 96% des habitants sont hispaniques. Les agents des douanes et de la protection des frontières sont eux aussi en grande partie hispanique, une trahison pour les migrants mexicains. Chaque jour, des ouvriers, des journaliers et des camionneurs entrent aux États-Unis par les points de contrôle de Laredo. Les visiteurs mexicains viennent vendre leur sang dans de petites cliniques ou acheter des parfums dans d'immenses magasins à prix réduits. Parmi ceux qui font régulièrement la traversée, les agents hispaniques du CBP ont la réputation d'avoir la main lourde, comme s'ils essayaient de prouver quelque chose.
Les travailleuses du sexe viennent là aussi, mais l'industrie de la prostitution à Laredo est inhabituelle. Beaucoup de femmes qui travaillent dans les rues sont des locales et bordent la rue principale, l’avenue San Bernardo. Elles longent les restaurants, s'appuient contre les fenêtres des camions et conduisent les clients vers les motels bon marché.
L’avenue San Bernardo est longue - elle va jusqu’au Mexique. Les travailleuses du sexe qui n'étaient pas de passage se connaissaient bien : Melissa Ramirez, Janelle Ortiz et Claudine Luera - se rassemblaient autour d'un banc orange à un arrêt de bus. Elles mangeaient souvent dans une taqueria locale, se prêtaient des vêtements et partageaient le coût des chambres de motel, où elles emmenaient leurs clients, faisaient la fête ou dormaient.
Elles avaient des policiers et des agents de la patrouille des frontières, parfois comme clients. Les CBP sont relativement bien payés et puissants dans les régions frontalières, à tel point que certains accrochent leur treillis vert dans leurs voitures lorsqu'ils ne sont pas en service, pour montrer qu'ils sont agents. Mais Juan David Ortiz était différent.
Au sein de l'agence, il avait la réputation d'être un spécialiste en analyse et en informatique. Titulaire d’une maîtrise de l’université d’État de San Antonio, il avait servi dans la marine en Irak, mais n'avait participé à aucun combat. Il a ensuite cherché à rejoindre la police avant de changer de cap et grâce à sa pension de l'armée, il a acheté avec sa femme une maison.
Le 3 septembre 2018, dans une caravane installée sur un terrain privé dans la banlieue de Laredo, Cristina Benavides se montre inquiète. Sa fille Melissa Ramirez, qui travaillait sur l'avenue San Bernardo, ne répond pas au téléphone. Cristina est partie à sa recherche sans succès.
C’est au bord d’une route d’accès, dans une zone désertique que le corps de Melissa Ramirez a été retrouvé par un éleveur aux premières lueurs du matin. Elle avait reçu une balle de calibre .40 dans la tête.
Interrogée alors qu'elle était en deuil, Cristina Benavides s'est souvenue que sa fille était montée dans un camion noir conduit par un homme plus âgé. Il a été identifié à partir des relevés téléphoniques de Melissa Ramirez, puis interrogé et relâché, car il avait un alibi.
Benavides s'est également souvenue que Melissa avait eu une prémonition au cours des semaines précédant sa mort. «Ils vont me tuer, maman», a-t-elle dit, «et ils vont le faire comme ça», et avec ses doigts, elle a imité la forme d'une arme à feu sur sa tempe.
Elle n'était pas la seule victime à avoir eu ce genre de pressentiment.
Angie Luera Perez a mis des mois à parler de ce qui est arrivé à sa sœur, Claudine.
A 42 ans, Claudine, malgré ses problèmes personnels conservait sa bonne humeur. La plupart des matins, elle se rendait chez Kwik Chek, près de San Bernardo, pour y commander un gâteau à la fraise et à la banane. Abbie Pardo, une des employées, se souvient de sa gentillesse, de la façon dont elle prenait toujours un moment pour parler et de son amitié avec Melissa.
Après le décès de son amie, Claudine a avoué à sa propre nièce qu'elle craignait pour sa vie, qu’elle pourrait être la suivante et qu’elle savait avec qui Melissa se trouvait avant sa mort. Pourquoi, est-elle entrée dans le camion de Juan David Ortiz, alors ? Il l'a peut-être forcée ou, comme sa famille l'a suggéré, elle a peut-être été tenté de savoir ce qui était arrivé à Melissa. Mais, selon les propres aveux d’Ortiz, sur les 20 kilomètres de route qui séparent le centre-ville du nord de Laredo, Claudine a commencé à lui poser des questions, accusant Ortiz d’être le dernier homme a avoir vu son amie. Il y a eu une confrontation et il lui a ordonné de descendre du camion pour la tuer.
Elle a reçu plusieurs balles dans la tête, à bout portant, mais Claudine a non seulement réussi à vivre, mais à bouger. Elle a rampé sur l'herbe jusqu'au bord de la route. C'est un conducteur de taxi qui l'a trouvé.
C'était l'aube. Elle était blessée depuis près de cinq heures et allait mourir dans l'après-midi. C'était le 14 septembre et cela se passait quelques heures à peine avant que Juan David Ortiz ne fasse monter Erika Peña dans son camion.
À ce moment-là, la nouvelle de la mort de Claudine Luera était parvenue aux autres femmes travaillant sur l’avenue San Bernardo, mais le désespoir de leur situation financière les a forcées à continuer d'arpenter le trottoir.
On ne sait pas si la nouvelle était parvenue à Griselda Cantu, connue sous le nom de Chelly, un personnage solitaire et isolé. Cantu portait ses affaires dans une sacoche et s'asseyait parfois pour les remballer. Sa dernière action a été sa rencontre avec Juan David Ortiz.
Le 15 septembre 2018, à 12 h 07, douze jours après l'assassinat de Melissa Ramirez et quelques heures après son délit de fuite, les autorités ont publié un avis de mise en garde identifiant Juan David Ortiz, avec une description correspondant à son camion. Griselda a été emmenée presque à la même heure. L’assassin et la victime ont roulé ensemble pendant 20 kilomètres au nord de l’Interstate 35. Cette fois, Ortiz s'est aventuré moins loin et s'est arrêté sur une aire de camions très fréquentée à proximité. L'emplacement semblait avoir été choisi à la hâte.
La police patrouillait également sur ces routes mais personne ne découvrira Griselda avant le lendemain. Comme Claudine, elle avait reçu plusieurs balles à la tête. Elle avait également été frappée avec un objet lourd.
Le matin du 16 septembre, à 1 heure du matin, deux soldats de la patrouille routière du Texas passèrent devant la station-service Valero, située sur San Bernardo et Jefferson Street, et virent qu'un camion Dodge Ram blanc était garé sur le parking. A travers la fenêtre, ils distinguèrent posé sur le siège un pistolet Heckler & Koch P2000 calibre.40
Ortiz semblait être parti aux toilettes. Les deux officiers ont dégainé leurs Tasers et se sont rapprochés de la station-service.
Mais avant qu'ils ne puissent lui mettre la main dessus, Ortiz s'est enfui par une porte latérale et s'est mis à courir sur l'avenue San Bernardo avant de trouver refuge dans le parking de l'hôtel Ava, où il s'est caché parmi les voitures.
Une équipe des Swats est arrivée vite sur les lieux. À l'intérieur du parking, le fugitif dirigea son téléphone sur eux en guise d'arme à feu dans l'espoir d'être abattu. Mais cette tentative a échoué. Avant de se faire prendre, il a eu le temps d'écrire écrit deux mots sur Facebook : «À ma femme et à mes enfants, je t'aime» et «Signé Doc Ortiz . Adieu. ”(Doc était son surnom dans la marine.)
Juan Ortiz a été ensuite conduit au poste de shérif situé à proximité. Ses aveux enregistrés sur vidéo ont duré plus de neuf heures. Il a tout raconté sans le moindre remords.
Au bout de la neuvième heure, il a reconnu l'assassinat de sa dernière victime Janelle Ortiz, qui portait le même nom que lui, mais n'était pas de sa famille. Les deux officiers se sont immédiatement dirigés vers l'I-35 pour retrouver son corps.
Juan voulait nettoyer les rues. Il jugeait ces femmes indignes de la vie. Mais selon les journaux, Juan David Ortiz avait contracté une infection sexuellement transmissible, peut-être le VIH avec une prostituée. Les meurtres étaient sa façon de les punir. Cela expliquerait aussi pourquoi sa femme était partie et pourquoi il avait commencé à boire.
Mais Ortiz était comme l'a confirmé l'avocat général Isidro Alaniz, «en aussi bonne santé que vous ou moi». Des préservatifs ont été retrouvés dans son camion et la police pense qu'il était sobre lorsqu'il a commis ses crimes. La sociopathie et la misogynie combinées ont conduit beaucoup d'hommes à tuer auparavant.
En fait, Ortiz semblait avoir simplement la haine des prostituées.
Mais l'une de ses survivantes, Anna Karen qui n’avait jusqu’à présent parlé à personne de son expérience a raconté son histoire à des journalistes.
Obsédé par Erika Pena
Juan David Ortiz était l’un des clients d’Anna Karen et un habitué. Ortiz était obsédée par Erika Peña, a déclaré Anna Karen. Ils s'asseyaient dans son camion et fumaient et il lui posait des questions : Erika utilise-t-elle des aiguilles? Est-ce qu'elle prend des douches? A-t-elle l'hépatite C ? "Personnellement, je préférerais parler de moi", lui-a-t-elle alors dit.
"Elle est la seule à être venue chez moi, mais tu pourrais venir aussi", lui a proposé Ortiz. "Tu pourrais être le deuxième, tu pourrais être la deuxième à venir chez moi et à y vivre. Tu veux y aller ?" Karen raconte qu'Ils se sont d'abord rendus au drive-in pour y acheter des bières, puis elle a changé d'avis « Non, non, non, je veux rentrer chez moi ». Ortiz a acquiescé et l'a ramené.
«Au retour, je parlais de mes filles, de mes enfants. Toutes les conversations que j'ai eues avec lui portaient sur mes enfants, rien d'autre. »
Il lui a donné de l'argent et lui a envoyé un texto par la suite : "j'espère que tu changeras. Tu me rend fier. Tu vas changer."
Quatre jours plus tard, il tuait Melissa.
La fois suivante, il faisait monter Claudine Luera dans son camion. Anna Karen n'allait revoir l'un ni revoir l'autre.
Malgré ses aveux, Juan Ortiz a plaidé non coupable et attend son procès.
Autre article :
- Un agent de la frontière américaine, tueur en série, avoue avoir tué quatre prostituées
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Source :
- Richard Cooke - The gardian - A serial killer at the border – and the women who stood up to him - https://www.theguardian.com/us-news/2019/may/09/juan-david-ortiz-laredo-serial-killer-border-patrol-agent-women-stood-up-deaths
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